N’avez-vous jamais eu recours à l’écriture, au dessin, à la peinture ou à tout autre procédé créatif pour vous exorciser de ce qui vous faisait du mal ? Est-il possible qu’un événement traumatisant puisse augmenter l’intelligence créative de la personne qui en est victime ?

 

Mémoire traumatique ou Stress post-traumatique (SSPT)

Nous avons vu à plusieurs reprises, dans différents articles, que lors d’une agression, la victime peut perdre ses fonctions émotionnelles, physiques et somatiques par une disjonction de leur cerveau (cf. La sidération psychique  ou encore La dissociation traumatique). Ainsi, le processus de réponse émotionnelle et d’intégration du souvenir est très fortement compromis, voire impossible (cf. La mémoire traumatique).

 

De cette manière, les émotions non intégrées, associées à la mémoire traumatique vont coloniser la victime au point de lui faire revivre sans arrêts le même événement, les mêmes douleurs, la traumatisant chaque fois un peu plus. Heureusement pour les personnes qui le développent, ce trouble est traitable. Et quel meilleur moyen d’y remédier que de laisser s’exprimer sa créativité ?

 

En 2011, Robert James Miller II et David Read Johnson ont réalisé une étude en comparant 56 vétérans de la guerre du Vietnam qui ont été sujets au SSPT à 14 autres qui n’ont pas été confrontés aux situations de combat et n’ont donc pas développé de SSPT, grâce à laquelle ils ont pu noter que tous ces survivants avaient développé une capacité accrue pour la représentation symbolique : « De manière inattendue, les sujets atteints de SSPT par rapport aux sujets qui en sont exempts, ont montré une plus grande capacité de représentation symbolique, ce qui soulève de nouvelles questions quant au mécanisme par lequel le traumatisme pourrait augmenter la capacité d’imagerie mentale. »

 

Survie et créativité

Dessin de l’auteur

Il existe aujourd’hui des faits convaincants qui suggèrent que des surtensions présentes dans un processus de création pourraient être directement liées à une expérience traumatisante.

Le docteur Marie Forgeard (conseillère principale à l’Institut de l’Imagination) a un jour posté un questionnaire en ligne grâce auquel elle a pu interroger de nombreuses personnes pour mener une enquête sur le sujet. Elle s’est servi des réponses des participants pour faire une mesure, entre autres, de la croissance créative de ces derniers. Pour cela, elle a choisi de prendre la mesure de deux aspects : 1) la croissance et l’amortissement de l’événement traumatique ; 2) la créativité auto-déclarée après l’événement.

Grâce aux retours qu’elle a obtenus, elle a pu constater que « […] la détresse induite par le traumatisme prévoit une augmentation et une croissance créative auto-déclarée dans un échantillon de participants en ligne. Le traitement cognitif (la rumination intrusive et/ou délibérative) ainsi que les domaines de croissance (ou de dépréciation post-traumatique), en particulier les changements auto-déclarés dans les relations interpersonnelles et la perception de nouvelles possibilités pour la vie, ont mis en évidence le lien entre les résultats de détresse et de créativité auto-déclarée. »

 

Finalement, elle a pu mettre en évidence que la rumination intrusive résulte d’un processus à travers lequel l’individu oriente toute son attention sur les symptômes perçus de sa détresse causée par le traumatisme, au lieu de se concentrer sur d’éventuelles solutions pour annuler ces symptômes. En revanche, la gamberge délibérée est un mécanisme qu’utilise la victime pour se tourner vers l’intérieur d’elle-même, faire une introspection engagée par une réflexion fondée sur l’observation des diverses solutions que lui souffle tout son être pour résoudre ses problèmes.

 

 

Trauma et créativité

Nous savons maintenant que le SSPT s’exprime par le biais de la mémoire traumatique, par des flashes, des cauchemars, des sensations et/ou des images intrusives (tout ce qui permet la conception de la représentation symbolique d’une expérience vécue, quelle qu’elle soit). 

Cette étude menée par messieurs Miller et Johnson semble confirmer que l’expérience traumatique augmente la capacité de la victime à interagir et générer des représentations mentales symboliques. La question qui s’impose est donc pourquoi est-ce le cas ? Pourquoi le psyché répond aux traumatismes par la création d’allégories et comment les expériences traumatisantes peuvent-elles accroître la capacité de ses victimes à « jouer » avec ces images ?

 

Pour tenter de répondre à ces questions, il nous faut d’abord remonter plus loin dans le temps de la psychologie. Sigmund Freud décrivait déjà le traumatisme comme une obstruction aux réponses naturelles qui nous protègent des stimuli écrasants de l’environnement. Selon lui, on peut considérer qu’un événement devient accablant dans trois cas :

            1) lorsque l’événement surpasse la capacité naturelle de l’individu à traiter un stimulus entrant, comme lors d’une agression sexuelle, par exemple,

            2) lorsqu’il est impromptu et ne laisse donc pas de temps à la victime pour réagir, comme dans un accident de la route, par exemple, ou

            3) lorsqu’il s’agit d’évènements chroniques, répétés, qui inhibent totalement la capacité de l’individu à s’auto-protéger, comme dans le cadre de maltraitances ou de négligences.

 

Normalement, lorsque nous nous sentons menacés, notre cerveau oppose une réponse instinctive à la situation. Selon les circonstances qui lui sont imposées, il peut choisir d’attaquer, de fuir ou de se figer. Dans ce dernier cas, on dit que le cerveau est sidéré. Ce statut va lentement migrer vers un état de dissociation tant que la violence augmente ou s’éternise. Destituée de sa pleine capacité, la victime qui survit à un traumatisme se retrouve très souvent totalement incapable de formuler un récit clair et cohérent de ce qu’elle a vécu. Les horreurs subies ne pouvant être exorcisées, elles continuent de s’inscrire de plus en plus profondément dans l’inconscient, ce qui empêche leur intégration dans la mémoire autobiographique.

 

Le souvenir de cet événement arrive alors à l’esprit de la victime de manière fractionnée, par des morceaux de récit exprimés de diverses façons, qui vont la hanter et la coloniser. A ce stade, son psychisme va chercher à combler les blancs par tous les moyens. Pour cela, il fait appel à la représentation imagée ou symbolique : cela expliquerait cette propension accrue des victimes à « jouer » avec agilité avec le matériau imaginaire de l’expression créative.

 

Développer ses aptitudes à formuler le récit de ses expériences douloureuses est d’une importance cruciale pour surmonter le traumatisme. Ce dernier, par sa nature et ce qu’il implique, enferme la victime dans une solitude noire et particulièrement dévastatrice puisqu’il l’éloigne autant du sentiment holistique d’elle-même que de tout sentiment de sécurité (intérieure et extérieure). C’est pourquoi il est important pour elle d’être entourée, protégée et soutenue. Il n’y a qu’ainsi qu’elle pourra récupérer les parties d’elle-même qu’elle avait perdues et donc finalement recréer du lien avec le monde qui l’entoure. L’expression créative pourrait être le pont qui permet de passer de cette détresse solitaire à une nouvelle ouverture à l’autre.

 

 

Comment la créativité peut-elle être bénéfique ?

La représentation symbolique semble particulièrement nécessaire pour exprimer les émotions réprimées, étouffées par l’existence de la mémoire traumatique, dans le but d’éviter son éventuelle activation.

La recréation d’un répertoire d’émotions sain et complet est indispensable pour que la victime puisse à nouveau être dans la conscience de Soi et se lier significativement avec les autres. Ainsi, le sens du Soi n’est plus uniquement généré par des pensées de références internes, mais aussi par ce que Jonathan Turner (professeur de sociologie à l’Université de Californie) identifie par le terme « Soi-même ». Cela signifie que grâce au marquage continu des pensées par les émotions (ce qui permet de rendre plus souhaitables, ou répugnantes certaines expériences) l’émergence d’un sentiment autocentré en fonction des réponses émotionnelles uniques aux différents événements qui surviennent dans une vie, est possible.

Pour faire simple, chaque fois qu’une pensée est « étiquetée » par une émotion, un sentiment émotionnel de Soi est créé à travers de nouveaux goûts, des valeurs, des attractions, etc. La fragmentation et la répartition de l’expérience émotionnelle participent très probablement à la création de ce sentiment de la victime que son existence propre manque de sens, de perte d’identité et de repères, aboutissant à une estime de soi catastrophique… tous ces ressentis qu’ont en commun les personnes qui souffrent de SSPT. En l’absence de ce sentiment, cette sensation d’être soi, il est quasiment impossible d’établir une connexion émotionnelle positive forte avec les autres.

 

Bien que le retour à une vie sociale saine soit la solution la plus curative, une expérience traumatique peut rendre sa victime complètement allergique aux relations tribales. Cette attitude défensive est le reflet de celle adoptée face à un contenu traumatique qui tente de se frayer un chemin vers la conscience du survivant. C’est une posture qu’il est important de respecter.

Comme nous avons déjà pu le voir dans d’autres articles, une expérience devient traumatisante lorsque la victime est littéralement submergée par les émotions qui déferlent en elle. Encourager la réduction du souvenir de ces événements peut être une stratégie saine en attendant que la personne se sente prête à analyser et comprendre ce qui a créé un tel fossé entre elle et le monde qui l’entoure. A ce moment-là, tout ce qui appartient au domaine de l’imaginaire et de la représentation symbolique peut être une bonne manière de « jouer » avec les différents fragments qui s’imposent à sa mémoire. L’art, au sens propre, né d’une expérience traumatique peut alors devenir une tentative de dialogue avec des parties isolées de son psychisme, mais également avec les personnes ayant accès aux résultats obtenus lors de ces échanges avec son for intérieur. Grâce à son imaginaire, le survivant d’un traumatisme se rapproche peu à peu, doucement mais sûrement, de toutes les parties de lui qui sont séparées, abîmées, isolées. S’exprimer seul(e) sur une feuille blanche, une toile ou que sais-je encore est une possibilité de parler sans être interrompu, de hurler en silence, sans prendre le risque d’être à nouveau bafoué, malmené, accablé ou rejeté… Par l’expression allégorique, les émotions sont exprimées simplement, sans aucune menace que leur développement ou leur impact n’est l’occasion de réapparaître.

 

 

Croissance post-traumatique

Beaucoup de gens voient leur vision du monde passer à un autre niveau après avoir vécu un événement particulièrement éprouvant, voire destructeur. Ils prennent par exemple conscience de la beauté du monde qui les entourent ou de ce qui fait la vraie richesse d’une vie. Certains ressentent la vie s’exprimer profondément, un sentiment qu’ils ne connaissaient pas avant d’avoir frôler la mort… c’est toute leur psychologie qui change positivement après un événement qui aurait pu les détruire.

On peut donc interpréter cette observation en disant qu’il est fort probable que, pour éviter de revivre un événement traumatique (à cause de la mémoire traumatique), certaines personnes renforcent inconsciemment leurs capacités à visualiser les choses de manière symbolique, qui pourrait alors être vues comme un mécanisme d’adaptation. Puisque plusieurs études nous ont démontré que la pensée symbolique est une pierre angulaire du processus créatif, l’augmentation de la créativité peut-elle être considérée comme un des avantages de l’expérience traumatique ?

 

Créativement vôtre,

 

Marie Peyron
Fondatrice de Phoenix-Coaching