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Il y a quelques temps, j’ai repris contact avec une activité qui mérite d’être connue : le jeu de Go. Si à l’époque où je l’ai découvert je le considérais comme un jeu, je vois aujourd’hui en lui une véritable leçon et ouverture sur le monde, notamment celui du développement personnel. La méthode de pensée chinoise m’a toujours beaucoup attirée, inspirée et nourrie, je trouve intéressant de passer par ce canal pour l’évoquer avec vous de manière ludique.

Je suis loin d’être une experte dans le domaine (entre nous, sur un Goban, je suis une véritable bille !) mais l’intérêt et la passion n’en sont pas moins forts. Ainsi, pour étoffer mes propos, je puise mes ressources dans les rencontres avec des joueurs, dans des articles lus dans des magazines spécialisés ou sur Internet, dans des observations et commentaires de parties, ainsi que dans divers ouvrages (y compris la BD!).

 

Qu’est-ce que le Go ?

Goban

Créé selon la légende par l’empereur Yao (envron 24 siècles avant notre ère) soucieux d’éduquer son fils pour en faire un successeur compétent, le jeu de Go donne au joueur l’objectif de constituer des territoires en faisant usage d’un matériel des plus simplistes : un plateau de jeu, appelé Goban, de 19×19 cases (soit 361 intersections), des pierres noires et des pierres blanches. Les deux joueurs qui s’affrontent, posent tour à tour leurs pierres sur les intersections dans le but de créer et faire vivre des territoires.

Si le Go est une illustration de la « pensée chinoise », les Echecs reflètent le mode de «pensée occidentale». Les deux s’opposent en beaucoup de points :

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Le Go implique de désapprendre de vieux modèles pour en apprendre de nouveaux. Les possibilités et la complexité des combinaisons sont tellement infinies qu’il a été jusqu’à présent impossible de créer une intelligence artificielle suffisamment efficace pour battre les professionnels de ce jeu emblématique de la culture asiatique.

Afin d’exploiter au maximum ce que j’ai appris, je vais vous proposer successivement 6 dimensions du Go qui me semblent fécondes pour une approche interculturelle de développement personnel. Elles ne couvrent pas entièrement le jeu, ni ne lui sont exclusives ; mais sont simplement – par les règles et les ressources mentales que celui-ci mobilise – mises en valeur.

 

 

1-    Une philosophie de l’action

action

Apprendre le Go, c’est entrer dans un monde où la pensée est dirigée vers l’action. La réflexion y est au service de l’efficacité et de l’efficience : comment agir, où, quand, quelle force investir, comment gérer plusieurs théâtres d’opérations en même temps, comment prioriser l’action, distinguer l’urgent de l’important ?

C’est un jeu d’encerclement basé sur la subtilité des opposants, la gestion de confrontations directes ou à distance, la notion d’objectifs à long terme dans des situations en perpétuel changement. Il invite l’esprit de ceux qui se lancent dans l’aventure à façonner sa capacité d’organisation, d’adaptation, à vivre et à se développer dans l’action. Comme l’exprime Franz Woerly dans son ouvrage La main du Go, « le Go ouvre au sens de l’action dans l’existence ». La pensée chinoise est très portée sur le sens de l’action et sur les moyens de la développer au mieux. A travers le Go, les joueurs valorisent le partage concurrentiel mais non destructeur d’un territoire.

Ce mode de fonctionnement est complètement à l’opposé de notre pensée occidentale qui, elle, valorise une vision du conflit comme étant une lutte à mort à l’issue de laquelle l’un des deux combattants doit survivre au détriment de l’autre (que ce soit dans la Bible, les légendes nordiques, ou autres). C’est un mode de raisonnement que l’on retrouve notamment dans une partie d’Echecs.

La complexité d’une partie de Go met en avant la nécessité de considérer les choses dans leur ensemble. Cette vision nous apprend qu’en tant qu’individu il est important de prendre en compte non seulement ses objectifs personnels, mais également les changements permanents d’une situation. La solution se trouve donc dans la capacité à concilier une analyse locale des multiples conflits locaux à une vision globale de la situation et des potentialités qui s’en dégagent ; le but n’étant pas de lire ou prédire le futur mais bel et bien de se projeter dans l’avenir en prenant en considération les multiples potentiels qu’offre la configuration présente : c’est la capacité à voir l’actuel pour repérer le potentiel.

reflexion

Ce qui fait la véritable force d’un joueur de Go réside dans sa faculté à adapter sa stratégie initiale à la situation en cours et d’avoir la possibilité d’adopter plusieurs comportements tout en sachant à quel moment l’un est plus utile que les autres. En d’autres termes, cela revient à passer de l’efficacité à l’efficience, c’est-à-dire de la stratégie d’objectifs à celle de moyens, ce dernier terme indiquant une préférence pour une manœuvre qui tire sa force de la capacité à savoir dégager le potentiel d’une situation. Ainsi se dissout ce qui pourrait, dans un premier temps, sembler paradoxal : avant que la situation ne s’actualise, il convient de rester immobile, ouvert aux différentes possibilités, sans se raidir dans aucune position puis, une fois que l’on s’est fixé une direction, faire preuve de détermination pour ne plus se laisser ébranler.

Le non-agir devient alors une conséquence de la recherche de l’efficience : c’est-à-dire qu’il n’est pas tant nécessaire de planifier des modes opératoires définitifs que de s’imprégner des possibilités d’évolution naturelles de la situation en épousant les formes de celle-ci. Des idées opposées en apparences sont finalement plus considérées comme associées que comme antagonistes.

Une partie de Go nous permet également de nous pencher sur notre mode de fonctionnement automatique, afin de mieux le remettre en question nous permettant ainsi de les adapter à la réalité à laquelle le joueur fait face. Cela leur permet de développer une sensibilité aiguë au potentiel énergétique d’une situation pour en tirer le meilleur avantage.

Aujourd’hui, dans nos sociétés occidentales, nous passons plus de temps à nous concentrer contre l’autre qu’à nous déployer pour nous-mêmes. Il est important de garder à l’esprit que notre premier adversaire dans la vie, c’est nous-mêmes et notre propension spontanée à vouloir toujours plus, au mépris de la réalité qui peut très vite se retourner contre nous. À tout vouloir tout de suite, on oublie de consolider nos acquis, nos positions et c’est comme ça que l’on se retrouve quelque temps après en (parfois grande) difficulté. Une partie de Go nous amène à nous demander « comment faire » plutôt que « pourquoi c’est comme ça ».

Le mode de construction de pensée, ici en Occident, est aux antipodes de cette intelligence chinoise puisque, en ce qui nous concerne, nous privilégions beaucoup moins l’action pour la recherche de causes premières, nous permettant soi-disant une compréhension saine du présent afin de mieux choisir et préparer l’action à venir. Pour parvenir à cet état, nous avons la fâcheuse habitude de nous concentrer plus essentiellement sur l’essence des choses et des êtres, attitude qui découle notamment des idées enseignées et propagées par le platonisme.

 

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Dans notre monde et notre système de croyances, chaque chose existe indépendamment des humains dans un monde qui leur est propre, leur accordant ainsi l’essence parfaite, « idéale ». Notre capacité de raisonnement est un héritage de la philosophie grecque, ainsi que des textes fondateurs du monothéisme. Revisités ensuite par la pensée gréco-romaine, ils ont dirigé la pensée occidentale vers une perspective essentialiste, dans laquelle la vérité est unique et éternelle. Du coup, l’action est conçue comme un plan Divin que nous nous devons de respecter à la lettre. Il nous est possible de lire dans la Bible, par exemple, qu’il n’y a pas d’écart entre le « dire » et le « faire » (d’ailleurs, en hébreu, ces deux termes sont rendus par le même mot, dâbâr) : quand Dieu « dit », il agit et la Création est l’œuvre de Sa parole. Ces bases antiques axiomatiques de notre système de pensée occidentale s’est donc logiquement intéressé à l’action et à son contexte puisque nous privilégions une approche essentialiste basée sur la nature ontologique des objets.

Peut-être qu’au lieu de penser l’être humain comme une figure réductrice de l’individu, nous devrions nous tourner vers une vision qui exprimerait le fait qu’agir, développer l’activité sont des conditions essentielles de l’existence humaine qui permettent de répondre aux questions posées par les limites de l’individuo-centrisme : « à quoi ça me sert de faire ça ? Pourquoi je fais ça ? » L’harmonie entre le faire et l’être ne peut qu’ignorer ce type d’interrogation. « Comment modifier les choses ? » est une question hautement préférable à méditer que « pourquoi les choses sont ce qu’elles sont ? ». Le « pourquoi ? » devrait aujourd’hui être considéré comme la recherche vaine et puérile d’une vérité ultime insaisissable et d’une origine illusoire des choses. Il est absolument ridicule de vouloir maintenir une stratégie préalablement définie sur une situation qui a évolué et qui modifie le contexte d’application de cette stratégie.

Au final, le Go enseigne une conception réactive et dynamique de l’action. Une partie de Go est une véritable leçon de praxéologie à travers laquelle on apprend que la qualité d’une action dépend de son adaptabilité et de son adéquation au contexte. Avant d’être mise en place, une action n’est donc, dans l’absolu, ni bonne ni mauvaise.

Conclusion, il est important de conserver une vision globale de la situation en cours, d’en repérer chaque potentiel, chaque possibilité, de garder l’initiative et de se développer à partir de ses points forts. Votre avancée dans vos projets et donc, dans votre vie, doit donc se développer autour de l’articulation analyse-synthèse et favoriser une sensibilité, une flexibilité au contexte pour y développer votre avenir.

 

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Comme le disait Sun Tzu, dans L’Art de la guerre : « connais ton adversaire et connais-toi toi-même, et en cent batailles tu ne seras jamais en péril ». Vivre c’est agir dans un contexte. L’action y est l’ensemble des opérations de changements qui vont eux-mêmes rétroagir et modifier le contexte initial. Toute décision doit donc être une réponse à une situation à la fois spécifique et en mouvement. Il n’existe donc pas de décision hors contexte et la situation réelle immédiate est la seule qui donne un sens à la réflexion et aux choix qui en émanent. La décision prise dans un contexte donné transforme donc ce contexte. Cela nous amène finalement au fait que la seule chose constante dans ce monde, c’est le changement.

 

Cet article s’inscrit dans le dossier évoquant l’analogie entre le Go et le monde du développement personnel. Vous pouvez accéder aux autres articles de ce répertoire ici:

1- Philosophie de l’action1428
2- La constance du changement
3- Groupe, individu et identité
4- La structure du vivant
5- Complexité et chaos
6- Vision globale et attracteurs étranges